Éternelle Coco Chanel
Cinquante ans après sa disparition, elle reste la déesse absolue de l’élégance. Esprit rebelle, Coco Chanel sonne l’hallali du corset et s’approprie les vêtements masculins pour les revisiter. Aux créations dictées par l’air du temps, elle oppose le style Chanel. Indémodable. Celui d’une femme libre, indépendante et, comble du luxe, désinvolte.
« Je ne suis pas à la mode, puisque la mode c’est moi !»: le ton est péremptoire, sa voix, sèche et rocailleuse, celle d’une grande fumeuse. Orgueilleuse, ambitieuse, souvent tyrannique, sans doute n’en fallait-il pas moins pour s’imposer et casser les codes d’une époque où la femme, selon l’image d’Épinal, se devait d’être douce et servile, sommée de s’effacer pour laisser l’homme briller. Coco Chanel n’est pas une héritière. Rien ne lui a été dû. Quand Gabrielle perd sa mère, l’histoire dit que son père la place chez les religieuses cisterciennes, à 12 ans. Il ne reviendra jamais. Dans cette austère abbaye d’Aubazine, elle aurait appris le ménage, la cuisine, la couture… en vue de travailler plus tard au service des riches. Riche, elle le deviendra au-delà de ses rêves. C’est dans le dépouillement, la frugalité et les très beaux vitraux de cette communauté que s’ancrent les racines de sa création. Sa puissance de travail, son acharnement et sa ténacité feront le reste.
Il y a aussi cette rencontre, opportune, avec un jeune et fringant officier de bonne famille. Étienne Balsan l’emmène à Paris, où il l’introduit dans la haute société. Elle y fait la connaissance de son seul grand amour, Arthur Capel, surnommé « Boy ». Sa mort dans un accident de voiture, en décembre 1919, lui arrache le coeur.
À la veille de la Grande Guerre, elle dirige déjà une boutique de chapeaux et d’accessoires, à Deauville, quand elle ouvre un nouvel atelier dans un entresol rue Cambon, dans le quartier de la place Vendôme à Paris. Elle finira par acheter cinq immeubles dans cette rue qu’elle rebaptisera « la rue de ma chance ». Le siège de Chanel s’y trouve toujours. Gabrielle devient Coco, la prêtresse flamboyante d’un monde dont elle bouscule les moeurs corsetées. La femme de Chanel est une femme de pouvoir aux cheveux courts, chic et libre. Accessoiriste et couturière, elle s’inspire des tenues masculines, tweed, pièces coordonnées et vestes souples, à commencer par celles de ses amants, dont le duc de Westminster. Décrite comme dénuée d’empathie, elle n’aime que son travail, et les clientes qui savent apprécier son talent. Son seul engagement : le style et l’élégance. Et si elle apprécie l’argent, c’est parce qu’il « n’a qu’un son, celui de la liberté », proclamait-elle.
Couverture du numéro 1133 de Paris Match paru le 23 janvier 1971, en hommage à Coco Chanel décédée le 10 janvier de la même année. © Paris Match
Solide comme un roc, elle résiste à tout, y compris, à la Libération, aux accusations de « collaboration horizontale », grâce à ses relations bien placées. Elle aurait bénéficié du soutien de Churchill.
Après dix ans d’exil en Suisse, elle revient à Paris en 1954. Elle a alors 71 ans et se remet au travail. Elle invente un uniforme, devenu un indémodable : le tailleur coordonné en tweed de laine, sans col mais bordé de galons travaillés. La doublure imprimée est de la même soie que le chemisier rentré dans la jupe droite. Sobre et chic. En ces années 1950, elle est à contre-courant des tendances qui jouent plutôt les formes corolle à la Christian Dior. Mais les tailleurs Chanel font un tabac. Et traversent, imperturbables, les « swinging sixties ». La créatrice n’hésite pas à critiquer vertement les minijupes « qui montrent la partie la plus laide de notre anatomie, les genoux, surtout quand ils sont cagneux ».
Les obsèques de Coco Chanel à l’église de la Madeleine, le 13 janvier 1971. © Jean-Claude Deutsch / Paris Match
Cette férocité ne la quittera jamais. Et lui vaudra une fin de vie solitaire, isolée dans sa suite du Ritz où elle meurt le 10 janvier 1971, à 87 ans.
Celle qui restera « Mademoiselle » jusqu’à sa mort n’a pas eu d’enfants. Sa famille, ce sont ses amis, artistes et grands esprits du moment, parmi lesquels Salvador Dali, Picasso, Cocteau, le poète Pierre Reverdy. Le temps les emportera l’un après l’autre. La mort, elle en a peur, « parce que c’est trop bête ». Le « cygne noir », comme l’appelait Cocteau, va finir aigri, misanthrope et très fortuné. Cette femme mondaine, mais si peu portée sur le bonheur et la légèreté, avait confié à son amie Lilou Grumbach-Marquand : « Je veux être enterrée à Lausanne, pour que personne ne vienne me voir. »
Quand Karl Lagerfeld est nommé directeur artistique en 1983, la maison Chanel se heurte à des difficultés financières. Il fait revivre la marque et Chanel devient l’une des maisons de couture les plus célèbres et respectées du monde. © Jacques Lange / Paris Match
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Le saviez-vous : Coco Chanel a lancé la mode du bronzage
De l’Antiquité gréco-romaine, à l’aristocrate du XVIIIe en passant par l’image blanchâtre de l’Immaculée conception au début de l’ère chrétienne, 20 siècles seront passés avant que la peau hâlée ne devienne un must. Parmi d’autres éléments déclencheurs, Coco Chanel serait à l’origine du changement progressif de notre rapport au Soleil…
Des repères corporels bouleversés
En très peu de temps, en Europe, notre sensibilité cutanée a radicalement changé. Après 20 siècles de véritable phobie du soleil – le blanc ayant longtemps été synonyme de beauté et de distinction sociale -, la peau hâlée devient subitement un culte exalté. Dans une interview accordée à France Culture, Pascal Ory, historien français et auteur de “L’invention du bronzage. Essai d’une histoire culturelle”, revient sur cette obsession pour la pâleur inscrite dans le temps : “Disons qu’en Occident, on valorise depuis le début du monde chrétien la pâleur et en particulier la pâleur des femmes, donc ça fait à peu près 2000 ans. Les hommes, qui occupent l’espace public, sont quand même exposés, même dans les élites, donc ils peuvent être un petit peu hâlés, mais les femmes sont en quelque sorte en stock et elles doivent être préservées. D’ailleurs vous avez l’image de la pureté qui est liée à la blancheur, du mal qui est lié à la noirceur. Tout ça fait que la femme des élites doit être préservée. Évidemment ça l’oppose à la femme paysanne qui ne peut pas se protéger. Plus on s’éloigne de la paysannerie plus on doit être pâle. Les élégants de 1900 s’intoxiquent de produits chimiques pour rester pâles”
Coco bronzée, Coco libre
Coco Chanel - Paris, 1944. © AFP Si plusieurs sources refusent d’associer uniquement Coco Chanel à l’avènement du bronzage dans la mode, elles s’accordent néanmoins sur le fait qu’elle ait brisé les codes. Une belle journée d’été des années 20, sur le yacht du duc de Westminster à Cannes, la célèbre créatrice avait en effet constaté les effets du soleil sur sa peau. Cet accident de bronzage devint rapidement le signe d’une nouvelle féminité, moderne, libre et indépendante, qui servira d’exemple. La machine est lancée. En 1927, Jean Patou lance le tout premier produit solaire, l’huile de Chaldée, essentiellement adressée aux classes les plus aisées. L’année suivante, le magazine Vogue lance le débat : “Être ou ne pas être halée ?” et, au fur et à mesure, les titres de presse passent du doute à l’engouement.
Un événement phare : 1936, l’instauration des congés payés
Coco Chanel : Dans le manoir écossais qui a abrité ses amours avec Hugh Grosvenor
L’été, c’est donc à Rosehall Estate qu’ils s’installent, loin des regards indiscrets. Chanel redécore chacune des 22 chambres de cette propriété hors norme, sortie de terre à la toute fin des années 1800. Les murs sont habillés d’un beige qui n’est pas sans rappeler celui de la maison française, tandis que d’autres se voient recouverts de papiers-peints fleuris qui évoquent ceux que l’on retrouve dans les appartements parisiens de la créatrice. C’est dans cet écrin bucolique que cette dernière et son amant (qui n’est pas si secret) accueillent leurs amis proches, à l’instar de Winston Churchill, qui viendra y passer l’été 1927. Dans une lettre adressée à son épouse Clementine, celui qui n’est pas encore Premier ministre britannique décrivait d’ailleurs Chanel et la maison comme étant toutes deux « très agréable ». Quand elle ne reçoit pas, cette dernière vit au grand air : elle pêche, effectue de longues promenades, et surtout s’inspire de tout ce qui l’entoure pour imaginer ses prochaines collections.
L’idylle entre la Française et le Britannique prend fin dix ans après leur rencontre, sur fond de disputes et de jalousie assurent certains. D’autres affirment que c’est le refus de Coco Chanel d’épouser Hugh Grosvenor qui aurait précipité leur rupture (serait né de ce refus la célèbre phrase « Il y a plusieurs duchesses de Westminster mais seulement une seule Coco Chanel »). Quoiqu’il en soit, les deux amants se séparent, et laissent derrière eux Rosehall Estate. Différents locataires s’y succèdent jusqu’en 1967, année à laquelle la demeure est abandonnée. Mise sur le marché à 3 millions de livres, elle avait trouvé preneur en début d’année 2020, et devait être transformée en boutique-hôtel. Les futurs propriétaires ont pourtant fini par se désister, laissant à l’abandon cette demeure mythique qui abrita bien des histoires.